Burakumin

mercredi 20 mai 2009

Je viens de lire un article du Japan Times qui est fort intéressant, étant donné les explications implicites qu'on peut en tirer. Il est en anglais, Google crosses line with controversial old Tokyo maps. Pour résumer, Google a publié récemment des fonds de carte (pour Google Earth) tirés d'anciennes archives japonaises: au lieu d'avoir une vue satellite, on peut choisir d'utiliser des vieilles cartes féodales japonaises, faites à la main il y a quelques siècles. Et bien ça a tout simplement fait scandale, parce que les cartographes de l'époque distinguaient les castes: concrètement, le quartier/ancien village d'Asakusa, au nord de Tokyo est marqué sur ces cartes avec la mention "eta" (pleins de souillures), un vieux mot japonais apparement extrêment violent, qui désigne péjorativement une sous-classe japonaise, les Burakumin.



L'article "burakumin" de wikipédia est pas mal: pour résumer, les gens qui touchaient au sang et au cuir étaient dépréciés, et devaient vivre à part, rester entre eux, et approcher le moins possible les autres gens. Là ou ça se corse, c'est que, selon cet article du Japan times, les Burakumin sont encore victimes de discriminations au Japon, et qu'être descendant de burakumin peut apparemment vous rendre la vie bien difficile. Donc levée de boucliers japonais, non à la discrimination, identifier Asakusa comme un quartier de souillés, c'est discriminatoire, et, devant la pression, Google a du modifier ces fameuses cartes pour effacer les mentions discriminatoires. Bon jusque-là, il y a le comportement très japonais "mieux vaut fermer les yeux sur ce passé si honteux plutôt que de l'expliquer à nos enfants", mais ceci mis à part, je peux comprendre ce qu'il s'est passé, et être d'accord avec la volonté de ne pas faciliter les discriminations. Okay.




Pour comprendre ce qui m'a fait tilter, il faut que je vous explique ce qu'est le matsuri: c'est série de processions traditionnelles, au départ shintoïstes, qui se font village par villages, et où le principe est de porter le temple/la relique (mikoshi) de quartier autour de chez soi, quartier par quartier, puis de se retrouver tous ensembles, pour rivaliser dans des joutes festives, de forces, d'adresse, etc... avant d'amener les mikoshi au temple central où la procession se termine par une bénédiction.



Ca dure tout le weekend, selon les endroits c'est super accueillant, c'est plein de musiques et d'animation, on peut faire des supers photos, bref, sympa.


Enfin revenons à nos moutons.



C'est ce genre de photos, prises au matsuri... d'asakusa, (plus précisement, ce blog par Syla) qui lie aujourd'hui matsuri, asakusa, burakumin, et... Yakuzas.
Et oui. Parce que si vous pensez que les "petits" gars du dessus sourient pour la compétition, vous vous trompez bien comme il faut. Si je faisais dans le dramatique, je vous dirais qu'en continuant dans cette direction, vous finirez... comme ça.

Mais oui, incidemment, le Kanja matsuri, le matsuri d'asakusa, est _le_ matsuri, et a priori le seul matsuri où vous verrez ces tatouages affichés publiquement. Et pour cause: les matsuri sont les seules occasions où ils sont tolérés, puisque le seul rôle de ces tatouages est d'afficher l'appartenance à la "mafia" japonaise, la filiation, et codée, les hauts faits de chacun. Je ne peux que conseiller l'article wikipédien yakuza pour plus d'informations... Les yakuzas ont une position ambiguë, jouant sur leur côté robin des bois pour faire oublier leurs actions sous la table... Ryōichi Sasakawa par exemple, l'un des plus connus des "parrains" japonais, est le plus gros donateur individuel de l'ONU :) Du coup, il y a toujours des gens pour écrire que ces gens-ci sont des bienfaiteurs... Je doute humblement.

Mais bref. Le lien avec l'article du jour? C'est simple. Les Yakuzas sont des descendants de Burakumin. La tradition Yakuza vient de deux facteurs: le nombre grandissant de ronins, samourais déchus, d'une; et de l'autre le ras-le bol des burakumin d'être ignorés, de deux. Officiellement, il y a plus de 70% de descendants de Burakimin dans le plus gros syndicat yakuza japonais.

Donc pour faire court... je pense que vous devez trouver comme moi, extrêmement "fortuit", que lorsqu'on insulte publiquement la majorité des habitants d'Asakusa de "souillés", population qui est majoritairement pour le moins sympathisante yakuza, il y ait autant de pression sur les épaules du pauvre petit nain Google. Oh oui, vraiment... c'est ballot, mince alors.

(Photos: Okinawa soba, yonezawa shinichi, manganite, elmimmo)



À 13h, on a décollé du bureau, on a hésité avant de choisir notre resto... On a opté pour la suggestion de Takehide, un coin à tempura à 3-4 blocs du NII. On marche jusque là-bas, on attend un poil, on s'installe, commande, mange... Takehide finit avant nous, et nous attend l'air un peu gêné. On finit... On paye, on sort, on rentre au NII. Je passe me prendre un café, et je redescends à mon bureau. Assis, je jette un œil à l'heure: Il est 13h25.

Midi express. Dans les rues, les gens vont manger en petits groupes de 2, 3 ou 4, rigolent entre eux sous le soleil... Mais une fois assis, on mange vite, très vite. Il n'y a pas du tout cette sorte de tradition qu'on peut voir ailleurs, cette tradition du moment de manger, moment de pause où l'on prend le temps de discuter.



Je pense qu'on pourrait faire une analyse rapide, à l'occidentale, du comportement, et résumer ça comme une conséquence de la société moderne, “ Le Japon, ce pays qui bouge si vite ”. Bof. Je ne serais pas convaincu. De manière générale les endroits autour du boulot sont des endroits où on mange "efficace". Il y a des endroits où on reste debout pour manger. La plupart du temps on est assis alignés à un comptoir tout autour d'un îlot central dans lequel 2-3 cuistots s'affairent. De temps en temps, cuisine et tables sont séparées, mais le style est souvent plus proche d'une cantine que d'un restaurant à l'européenne: des tables longues en bois avec des bancs. (Non non, c'est pas une ambiance communiste à la chinois ou qui rend "industriel": il y a des restos tenus par des p'tits jeunes avec des accessoires plus ou moins design, une ambiance sonore sympa [beatles/doors]; juste, de base, il y a ces longues tables) Si possible, on évite les vis-à-vis entre les gens qui mangent: il arrive qu'il y ait un écran plastique dépoli au milieu de la table pour éviter de voir la personne en face de nous manger.

Oui, je sais, vous devez faire des grands yeux "pourquoi tant d'inhumanité?", mais c'est juste différent: on discute pas là bas, on rencontre pas des gens non plus. On mange. Et puis histoire d'être poli, on mange vite, en aspirant ses nouilles bruyamment, pour montrer que chai chô et chai bon. Les quelques conversations qu'il y a se font à voix basse, pour ne pas gêner les voisins. (De toute façon il y a souvent une Japonaise un peu âgée qui répète les commandes avec une voix bien désagréable, tout en accueillant depuis l'autre bout du resto les nouveaux-venus, et en remerciant tout aussi sonorement les clients qui sortent) En plus, globalement, les gens ne cherchent pas plus que ça à rester assis les uns à coté des autres. On mange, et on se retrouve après.



(Un resto de soba, nouilles de sarrasin, où les gens mangent debout: ca dépasse même dehors. Notez les fanions en haut: il y a ça dans la plupart des restos jap's, pendus depuis une tringle en bois, qu'on retire quand le resto ferme.)

Il y a d'autres endroits pour faire des vraies pauses après manger: un grand nombre de cafés, terrasses, d'inspiration occidentale à la starbucks pour ceux qui veulent discuter dehors sous le soleil. On voit aussi pas mal de businessmen dans diverses librairies à lire des mangas/romans/périodiques (des contenus bien souvent douteux, voir illégaux, pour les yeux occidentaux) Par ailleurs, il y a plein d'autres types de restos, pour le weekend ou en soirée, qui sont bien plus sociaux: les izakayas (bar traditionnels japonais), les coins à okonomiyaki où les gens sont tous assis par terre autour du grill, etc... c'est juste que prendre son temps n'est pas dans l'ambiance du midi.

Il y a aussi des exceptions. Les petits endroits à ramen qui sont moins connus sont plus détendus... Il y a plein d'endroits occidentaux qui font fureur: les restos italiens sont apparemment assez "hype" à Chiyoda. Bizarrement la cantine du NII est un peu plus posée: oui évidemment le temps qu'on mange nous, laissera toujours 3 fois le temps à un Japonais rapide de manger, mais certains prennent aussi plus le temps, discutent... On a aussi trouvé un coin sympa où on mange des ramen au comptoir resserré (6 places à tout casser) en face du cuistot qui nous accueille mort de rire avec un bonjoule et nous salue avec un au le voile, tout en nous faisant tenter ses derniers essais.



Et une photo sans rapport pour finir, une.

(Photos: The creative control, Pete Bar-Watson, mako10, The creative control)

Golden Week

mardi 5 mai 2009

J'ai sauté l'explication du Hanami parce que j'avais pas trop le temps, je reporte encore et toujours mes propos sur le Japon insulaire... Je tombe dans le cycle infernal du "ah non je vais pas écrire ça, il faut que je raconte cette autre chose avant". Donc fin au cycle infernal.



Cette semaine, c'est la Golden Week ici. C'est un enchaînement de 4 jours feriés, qui sont mis côte à côte pour avoir une semaine de repos. C'est assez rigolo comme principe. Pas de chance, cette année le premier de ces jours feriés tombait Mercredi dernier, (Showa no hi) et les 3 autres dimanche, lundi et mardi, ce n'était pas terrible pour la semaine de pause. Mais parfois au Japon on sait être conciliants, alors mercredi dernier était ferié, et la semaine courante n'est pas travaillée: les écoles sont fermées, et la plupart des boîtes font le pont =))



Je sais pas si vous pouvez imaginer. Tokyo complètement vide. C'est assez impressionnant. Gaby est seul à bosser à son étage, moi on est que deux. C'est fou de se poser devant une baie vitrée, et de se dire que dans chacun de ces gratte-ciels gigantesques, il y a au plus une personne par étage. C'est vraiment iréel.



Quand je marche dans ces rues vides, à chaque fois j'ai l'impression de me retrouver dans un des ces films qui décrivent une ère post-nucléaire, ou une ville morte, des suites de je ne sais quelle catastrophe. C'est vraiment impressionnant.

En attendant, au moins on travaille dans le calme =)

(Photos: Lincoln, John Batte, Breathing Juice)