Chaises musicales

lundi 7 juin 2010

J'ai des choses assez "originales" a raconter. Au choix, on pourrait parler de Sanja Matsuri, et des remous que font les petits matsuris autour de moi. Je pourrais faire une petite compilation de citations magiques, de mes connaissances Japonaises, et les passer au peigne fin pour me moquer d'eux. Je pourrais mesquinement pointer du doigt certains comportements d'expats (oh non, pas des français, on est d'accords qu'ils ont tous des comportements impeccables).


Mouais. Ou alors, je pourrais arrêter l'ironie, et assumer: mon blog est décidément un blog de yet-another-tourist, et... putain d'expats français! couillons de Japonais!



Je voudrais partager ma petite pensée de la semaine... Le saviez-vous? Le Japon a perdu son premier ministre vendredi dernier. L'article de Libération résume presque bien les faits, enfin... presque.

Le différent entre la populace Japonaise et ce Monsieur Hatoyama était simple, pour nous les étrangers qui regardions cette petite farce se jouer devant nos yeux, depuis nos sofas en satin, nous faisant servir des boissons raffinées par des locales écervelées. Car oui, ces jours-ci nous nous vautrâmes dans un luxe immonde, avant d'émettre des jugements à l'emporte-pièce sur la situation politique Japonaise. Reprenons donc.

Le Japon moderne commence doucement à oublier l'humiliation de l'après-guerre. Les nouvelles générations n'ont pas vu cette foule de G.I.'s parader en conquérants dans un Tokyo misérable. Oh, il y a bien le grand-père, qui de temps en temps radote, ou la grand-mère qui se prend encore pour une américaine, et ici ou là des marques qui trahissent cette empreinte que les yankees eurent jadis sur le pays.

Mais je pense pouvoir affirmer, du haut de mes multiples années d'étude sociologiques, menant entre autres, à la fameuse habilitation à diriger des recherches en pipeautique, que la nouvelle frange d'actifs n'est pas vraiment pro-américaine, en tout cas d'un point de vue purement culturel et identitaire. Il reste cependant l'histoire: pour nous Frenchies, qui avons été éduqués en long et en large sur la raclée qu'on s'est pris par le nain à moustache en 40 les prouesses de notre armée qui, hey!, a libéré Paris, il nous semblerait que même les nouvelles générations Japonaises devraient être un tant soit peu sensible a l'histoire en général, et avoir une notion du rôle que tient la contrée Yankee dans le Japon contemporain.

Mais non. D'autres l'écriront et l'expliqueront sans doute bien mieux que moi, mais regarder en arrière au Japon est très difficile, surtout quand il s'agit de ce joug cuisant qui a été imposé au peuple Japonais en 1945. (Rappelez-vous: les visites des officiels Japonais au "fameux" temple Yasukuni, qui irrite à chaque fois Pékin, parce que Tokyo refuse toujours de reconnaître les massacres en Chine et en Corée de l'armée Japonaise d'occupation... ) Autre anecdote: les jeux vidéos qui font usage/référence a l'arme nucléaire sont... censurés au Japon, interdits d'importation.

Et pourtant, la constitution Japonaise d'après guerre (qui, je le rappelle, fut imposée par MacArthur, et interdit au Japon de maintenir des forces armées, constitution toujours en vigueur de nos jours), fut source d'années de troubles politiques au sein des parlements Japonais, avec des partis radicaux qui puisaient des forces et du support dans la haine de l'américain, justifiée par ce sentiment d'humiliation d'après-guerre.
Les conditions fixées à l'après-guerre, sont aussi la principale explication du sursaut économique des années 80 qui impressionna autant le monde: le Japon cherche sa nouvelle identité, veut rejoindre le cercle des "grands", pour, il l'espère, pouvoir redorer son blason.


Un peu surprenant donc, que la relation à nos amis Yankees ne soit pas plus expliquée, ou comprise dans les grandes lignes aux p'tis jeunes, mais c'est la vie Maryse.


Pourquoi je parle de tout ca me direz-vous? Pour pouvoir analyser les raisons de la "crise" politique Japonaise actuelle. Le problème est très simple: la population d'Okinawa, au fil des années, est devenue de plus en plus mécontente de la présence d'une base américaine sur leur île (85% de la population y est hostile, me souffle mon oreillette).

La base est ici comme conséquence du traité de San Francisco: les US assurent la défense du Japon, et maintiennent une présence élevée dans l'archipel, puisque le Japon n'a pas le droit de le faire lui-même, du fait de cette constitution contraignante.

On est tous d'accords, amis politologues du Dimanche, la situation US est bien confortable, puisqu'ils s'octroient des base à coût relativement faible, mais ceci n'est pas le sujet du jour. Le sujet du jour, c'est "l'oubli" surprenant que font les habitants d'Okinawa, et avec eux une partie de la population de l'archipel principal: oubli de l'histoire, et de la raison du "pourquoi" de la situation actuelle. Je trouve "drôle" de réclamer une certaine indépendance quand le système s'oriente progressivement vers l'oubli d'une page de l'histoire, pour éviter de faire un mea culpa. Mais bref, reprenons.


Le gouvernement Japonais s'est retrouvé sous pression, de la part de ces nouvelles générations, de moins en moins sensibles aux raisons de la présence militaire américaine au Japon. Quelques pirouettes politiques: on déplacera la base, on la déplacera pas, on la déplacera... Mais négocier avec les américains sur ce sujet, pour les envoyer paître, ne semble pas faisable, si l'on regarde le sujet avec un peu de distance...
Dans le coin rouge, la population d'Okinawa, et les partis politiques qui forment l'opposition, qui hurlent "renégociez avec les américains". Dans le coin bleu, Rocky le Yankee, impassible, stance d'une voix grave: "je ne bougerais pas". Et au milieu? Le premier ministre Japonais, qui catalyse toutes les critiques.


Que faire dans ce cas?



Ne jamais concéder la défaite, l'échec intrinsèque du système, mais préférer se blâmer soi-même. Faire durer le processus avec des demi-arguments, plutôt que de revenir avec un simple "non". Somme toute, le comportement Japonais typique.



Vendredi donc, feu premier ministre a démissionné, admettant ainsi publiquement son incapacité à résoudre la situation. Le public a trouvé son coupable et l'a lapidé: le problème d'Okinawa a définitivement été enterre avec Mr. Hatoyama et ne refera pas surface de si peu. La base restera, car le Japon n'a pas, et n'a jamais eu depuis 1945, le choix. Et pour ce qui est du débat public, après tout, un premier ministre s'est sacrifié: que pourrais-t-on demander au gouvernement de plus? Les prochains agitateurs qui voudront brandir le drapeau "Okinawa" de la contestation seront promptement rabroués au rang de dérangeurs du wa, l'harmonie nationale, et on trouvera un autre problème a astiquer.


Ce qui est intéressant à constater encore une fois, c'est la façon dont l'éducation et les origines de chacun nous empêchent de voir les situations sous un nouveau jour. Cela fait 3 jours que cela est arrivé, j'en aurais discuté avec peut-être 5 ou 6 Japonais, et personne n'est vraiment convaincu par cette analyse. J'en conclus, nécessairement, que mon analyse est horriblement foireuse: mais je souris toujours avec malice quand je les entends penser tout haut "mais quand même, c'est le 4e premier ministre à démissionner en 2 ans, je me demande si le nouveau tiendra...".

Édith: pour les curieux, Modern Japan: A Very Short Introduction, par Christopher Goto-Jones, est une excellente introduction (140 pages) aux divers problèmes d'identité nationale d'après-guerre...